Les Messageries Maritimes, qui ouvrent en 1851 les premières liaisons postales françaises en Méditerranée, figurent au rang des principaux armements français jusqu’au milieu du XXe siècle.

Évoquer les Messageries Maritimes, c’est s’embarquer pour des voyages au long cours vers de lointaines destinations, depuis les ports de Marseille, de Dunkerque ou encore du Havre. Les navires sous pavillon de la Licorne donnent une réalité au tour du monde et incarnent les rêves orientaux.

Relire l’histoire des Messageries, c’est découvrir en arrière-plan celle de l’expansion coloniale et du développement du commerce extérieur français, retraçant ainsi l’épopée d’une grande compagnie nationale.

L'épopée des Messageries Maritimes

Anonyme. Vedette des Messageries Maritimes se dirigeant vers les paquebots Eridan (1929-1956) et Leconte de Lisle (1926-1955) au large de l’île de Nossi-Bé, 1951

Georges Taboureau dit Sandy-Hook (1879-1960). Illustration pour une brochure destinée aux passagers

En France, à partir de 1836, c’est l’État qui assure l’acheminement du courrier en Méditerranée. Outre les lettres et les colis, ses navires à vapeur transportent quelques passagers et des marchandises précieuses. Le nombre de liaisons étant insuffisant et les coûts trop élevés, l’État cherche à confier le service postal à une société privée, contre une subvention.

A ce moment-là, les dirigeants de la Compagnie des Messageries Nationales, un regroupement de transporteurs par diligences et de maîtres de poste fondé à la fin du 18e siècle, cherchent à se reconvertir face à la concurrence du train.

Le 28 février 1851, les Messageries Nationales signent la première convention postale française. Quelques mois plus tard, la première ligne est inaugurée par l’Hellespont, qui quitte Marseille pour le port italien de Civitavecchia.

Louis Léopold Boilly (1761-1845). Arrivée d’une diligence dans la cour des Messageries Nationales à Paris

Patrick de Manceau (1901-1980). Premier départ du paquebot Hellespont (1851-1859)

La Méditerranée constitue la première aire de développement des Messageries Maritimes. A sa création, la Compagnie exploite trois services, avec seulement deux ou trois départs par mois depuis Marseille : vers Malte par l’Italie, vers Constantinople et enfin vers Alexandrie par Malte.

En 1871, les Messageries participent aux transports de troupes pendant la guerre de Crimée et développent à cette occasion des lignes annexes dans la mer Noire, depuis Constantinople.

L'épopée des Messageries Maritimes 07

Anonyme. Le port de Constantinople (Turquie), 1er tiers du XXe siècle

Anonyme. Les paquebots Nil (1864-1874) et Vatican (1854-1873) à quai dans le port de Marseille

Carte des itinéraires des lignes de la Méditerranée et de la mer Noire

Anonyme. Le port de Port-Saïd (Égypte)

Jusqu’en 1912, les différentes conventions signées avec l’Etat confirment les lignes méditerranéennes des Messageries Maritimes, desservant ainsi depuis Marseille les ports de Beyrouth, Alexandrie, Jaffa, Smyrne, Salonique ou encore Port-Saïd, avec des départs hebdomadaires.

La convention des années 1920 impose aux Services contractuels des Messageries Maritimes un service plus régulier en Méditerranée, dont une ligne plus rapide : Marseille – Alexandrie – Beyrouth. À partir de cette date, la Compagnie met l’accent en Méditerranée sur la vitesse des paquebots et la qualité des emménagements. Poussée par la nécessité d’attirer la clientèle de tourisme désireuse de se rendre sur les sites antiques qui jalonnent ses parcours, la Compagnie soigne la qualité de l’hôtellerie à bord de ses paquebots. C’est désormais aux lignes du Levant qu’elle dédie ses unités les plus modernes et les plus luxueuses comme Mariette Pacha et Champollion. Les Messageries Maritimes développent alors une offre de croisières de plus en plus variée permettant de découvrir la Grèce antique, l’Egypte des pharaons et le Proche-Orient. Elles créent des croisières libres ou accompagnées par des guides et des conférenciers de renom, à destination des touristes individuels ou pour des groupes.

Comme les Messageries desservent aussi nombre de lieux symboliques pour les religions monothéistes, elles proposent des voyages à thème à destination des pèlerins.

Anonyme. Publicité « Messageries Maritimes. La Noël en Palestine », 1936-1937

Anonyme. Publicité « Messageries Maritimes. Croisières en Méditerranée », 1937-1938

Georges Taboureau dit Sandy-Hook (1879-1960). Affiche « En Méditerranée par les Messageries Maritimes », vers 1925

Pendant toutes les années 1920, malgré la séparation des réseaux libres et des réseaux contractuels, la situation économique de la Compagnie reste fragile. Théophile Gautier, mis en service en 1927, est le premier paquebot français à être propulsé par un moteur à explosion. Il sera suivi pendant les années 1930 par la série des « nautonaphtes » à moteur diesel sur les autres lignes de la Compagnie.

En 1933, la ligne Syrie – Egypte des Services contractuels des Messageries Maritimes devient hebdomadaire. Mariette Pacha, Champollion, Patria assurent une ligne rapide vers Beyrouth par Alexandrie, en 7 jours, tandis que Théophile Gautier, Lamartine, Providence et encore Patria assurent le voyage en 11 jours avec des escales à Naples, au Pirée, à Istanbul, à Rhodes ou encore à Alexandrette.

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la remise en route des lignes de passagers est plus lente que pour les marchandises. Les liaisons sont assurées par les paquebots ayant survécu à la guerre (Champollion, Maréchal Joffre) et par d’autres unités affrétées ou achetées d’occasion, comme les petits paquebots Gascogne et Anne de Bretagne.

Face à la concurrence de l’avion, la Compagnie développe ses circuits de croisières. Après la croisière inaugurale très médiatisée de La Marseillaise qui a lieu en 1948, elle propose de multiples formules de circuits et de voyages à thème. Les destinations privilégiées sont toujours l’Egypte, la Terre Sainte et les sites antiques de la Grèce, mais les Messageries offrent également des circuits en Italie ou vers l’Espagne.

Anonyme. Le paquebot Théophile Gautier (1927-1941) à quai dans le port du Pirée

René Simon (1907-1994). Le paquebot La Marseillaise (1949-1957) en mer

René Simon (1907-1994). Le paquebot Godavery (1955-1976) en mer

À partir de 1955, les Messageries Maritimes se lancent dans la modernisation de leur flotte avec la construction des cargos du type Godavery, puis du type Maori. Les navires de transport de fret tendent désormais à se spécialiser.

Concernant le transport des passagers, la concurrence aérienne s’impose. Désormais, le ferry est privilégié en Méditerranée et le paquebot devient un navire de croisière. La dernière ligne vers le Proche-Orient s’interrompt en 1956. Les Messageries Maritimes se concentrent alors essentiellement sur leurs activités de transport de fret. La conteneurisation du transport des marchandises est en marche.

Desservant régulièrement l’est de la Méditerranée pour le service postal, les Messageries Maritimes ont vite vocation à passer au-delà de l’isthme de Suez pour s’aventurer à la conquête de l’Orient.

Avant 1860, les passagers à destination de l’Asie s’embarquaient à Marseille et quittaient leur navire en Egypte, où ils étaient pris en charge par l’organisation coloniale britannique. Celle-ci les menait d’Alexandrie au Caire par le canal Mahmoudieh et le Nil, puis du Caire à Suez en voiture à travers le désert. Arrivés enfin au bord de la mer Rouge, ils poursuivaient leur voyage sur les paquebots anglais de la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company (P&O), seule compagnie à assurer depuis 1841 une liaison régulière vers l’Extrême-Orient. Cette situation n’était pas sans porter préjudice à certains importateurs français, comme les manufactures lyonnaises de soieries, qui devaient passer par le marché anglais pour se fournir.

Anonyme. Le paquebot La Bourdonnais (1863-1896) dans le port de Marseille

En 1860, après l’expédition de Chine, la France prend possession de la Cochinchine. Le 22 avril 1861, l’Etat signe avec les Messageries une première convention pour ouvrir des lignes postales et commerciales en Asie. Le programme prévoit une ligne principale mensuelle reliant Suez à Saigon avec un réseau de services annexes aboutissant à La Réunion et à Maurice, à Calcutta, à Batavia, à Manille et à Shanghai.

Au cours de l’été 1862, les paquebots Impératrice, Cerdagne et Andalousie contournent l’Afrique pour se rendre à Suez par le cap de Bonne-Espérance et ainsi ouvrir ce premier service de « l’au-delà de Suez ».

La ligne postale vers la Chine, qui ouvre le 19 octobre 1862, se déroule en plusieurs étapes : tout d’abord, c’est la Neva qui transporte les dépêches, les marchandises et les passagers depuis Marseille jusqu’à Alexandrie. Ensuite, la Compagnie transporte par la voie terrestre ses clients, colis et paquets jusqu’à Suez, où le paquebot Impératrice prend le départ vers Hong Kong qu’il atteint le 2 décembre suivant. A cette époque, la suite de la ligne jusqu’à Shanghai est assurée par un autre navire, le Hydaspe. En moyenne, le voyage pour aller jusqu’au bout de la ligne aura duré près de 45 jours !

Anonyme. Le paquebot Impératrice (1861-1870) en mer

Anonyme. Ex-voto représentant le paquebot Dupleix (1862-1888)

La ligne française d’Extrême-Orient est immédiatement un succès. Dès 1864, elle s’enrichit d’une annexe vers le sud de l’Océan Indien, la Réunion et Maurice. Par ailleurs, le prix des soies de Chine augmentant considérablement à partir de 1863, la Compagnie décide de se développer vers le Japon, fournisseur de soies de très belle qualité tout en étant demandeur de produits manufacturés français. Dès 1864, une convention complémentaire est signée entre l’Etat et la Compagnie pour ajouter une ligne annexe de Shanghai vers Yokohama. Le 12 septembre 1865, le Dupleix est le premier navire marchand français à pénétrer dans les eaux japonaises.

Avec le développement du trafic entre l’Europe et l’Extrême-Orient, la rupture de charge en Egypte pour rejoindre la mer Rouge devient de plus en plus difficile à supporter par les armateurs. Creusé et aménagé par la société de Ferdinand de Lesseps, le canal de Suez ouvre finalement en 1869 reliant directement Méditerranée et mer Rouge. Lors de son inauguration, c’est un paquebot des Messageries Maritimes, le Peluse, qui est le tout premier navire civil à le traverser.

Anonyme. Inauguration du canal de Suez par Ferdinand de Lesseps et le khédive Ismaïl Pacha

En 1880, la Compagnie ouvre un réseau annexe pour l’administration coloniale de la Cochinchine.

La ligne postale d’Extrême-Orient est renouvelée en 1886 et fixe la prolongation de la ligne principale jusqu’à Yokohama. Les conventions liant la Compagnie à l’Etat, celui-ci n’hésite pas à utiliser les lignes régulières pour des transports de soldats et de matériel, réquisitionnant même certains navires pour les interventions coloniales, comme l’expédition de Pékin en 1900 pour combattre la révolte des Boxers.

En 1926, des escales à Pondichéry et à Madras sont ajoutées sur la ligne principale. Par la suite, le réseau ne sera plus modifié jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. La principale modernisation apportée à la ligne est la mise en service pendant les années 1930 des « nautonaphtes », des paquebots de luxe à moteur diesel caractérisés par leurs cheminées carrées. La première série comprend notamment l’Aramis, le Félix Roussel, et le Georges Philippar, lequel sombre tragiquement en 1932 au retour de son voyage inaugural. Les paquebots « nautonaphtes » de la série suivante (Jean Laborde, Maréchal Joffre et Président Doumer) serviront tous sur la ligne d’Extrême-Orient pendant leur carrière.

Joseph (?) Ruedolf (1885-1950). Affiche « Visitez l’Extrême-Orient par les Messageries Maritimes. Chameaux à l’abreuvoir devant une porte de Pékin », vers 1925

Après la Seconde Guerre mondiale, les derniers navires réquisitionnés durant le conflit participent aux transports de troupes vers l’Indochine.

En 1948, le nouveau cahier des charges prévoit 27 voyages par an (aller et retour) au départ de Marseille à destination soit de Shanghai, soit du Japon avec escale à Shanghai, soit de l’Indochine.

Carte des itinéraires des lignes de l’Indo-Chine, de l’Australie et de la Nlle Calédonie

Bernard Lachèvre (1885-1950). Affiche « Visitez l’Extrême-Orient par les Messageries Maritimes », vers 1928

La Marseillaise est mis en service sur la ligne en 1949 et y demeurera jusqu’en 1955. La Compagnie lance ensuite un programme de construction de grands paquebots-mixtes pour l’Extrême Orient. Les Vietnam, Laos et Cambodge sont achevés entre 1953 et 1954. Ils assurent en période normale un départ de Marseille et de Yokohama toutes les trois semaines environ. Filant 24 nœuds de moyenne, ils relient ces deux ports en 32 jours.

René Simon (1907-1994). Le paquebot Cambodge (1953-1970) en mer

Conté (?). Les paquebots Cambodge (1953-1970) et Viet-Nam (1952-1967) à quai à Saïgon

Malgré la concurrence de l’aviation, le remplissage des navires est meilleur qu’avant-guerre. Cependant, la rupture des relations commerciales avec la Chine continentale et la fin de la présence française en Indochine marquent le début d’une baisse de la fréquentation de la ligne d’Extrême-Orient. Le 17 novembre 1969, le Laos assure le dernier départ de Yokohama vers Marseille marquant ainsi la fin définitive des lignes régulières des paquebots d’Extrême-Orient.

La Compagnie des Messageries Maritimes reste présente dans la zone avec ses lignes de charge (cargos) jusqu’à son absorption en 1977 par la nouvelle Compagnie Générale Maritime, qui reprend l’exploitation des navires et des lignes.

Dès 1862, les Messageries Maritimes ouvrent une ligne entre Suez, les Seychelles (île de Mahé), La Réunion et Maurice pour acheminer le courrier venu de Méditerranée par Alexandrie.

Louis Le Breton (1818-1866). Port-Louis (île Maurice), 1850

Le Gouvernement souhaitant qu’un pavillon français assure les communications vers la colonie de Nouvelle-Calédonie, les Messageries Maritimes signent en 1881 une nouvelle convention pour un service postal mensuel vers l’Océanie, avec escales à Mahé, à La Réunion et à Maurice, qui s’ouvre en novembre 1882.

A partir de 1887, la Compagnie sépare la desserte de l’océan Indien de celle de l’Océanie en deux lignes distinctes. Elle met ainsi en place une ligne mensuelle directe depuis Marseille vers les Seychelles, La Réunion et Maurice. Des navires stationnaires assuraient ensuite les lignes annexes vers Madagascar et la côte est de l’Afrique. Par la suite, la convention de 1894 fixe l’organisation des lignes dans l’océan Indien pour une dizaine d’années.

Anonyme. Affiche « Compagnie des Messageries Maritimes. Grèce, Turquie, Mer Noire (…) Nouvelle-Calédonie, Nouvelles-Hébrides », vers 1890

Anonyme. Le paquebot Djemnah (1875-1918) en mer

La ligne principale est désormais bimensuelle, un voyage sur deux passant par les Seychelles et l’autre par la côte orientale africaine et Madagascar.

Après 1921, un départ de Marseille est assuré toutes les deux semaines vers la côte est africaine, Mayotte, Madagascar, La Réunion et Maurice. A cette époque, il faut un mois pour se rendre de Marseille jusqu’à Maurice.

Desruol (?). Affiche « Messageries Maritimes. Indian Ocean Line. Ferdinand de Lesseps, Jean Laborde, La Bourdonnais, Pierre Loti »

Jean des Gachons (1899-1991). Affiche « Messageries Maritimes. Marseille, Djibouti, Afrique orientale, Madagascar, La Réunion, Maurice »

Cette organisation se maintient jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Une fois la paix retrouvée, les Messageries peinent quelques années pour retrouver une flotte et une organisation suffisantes à la reprise des lignes postales et commerciales.

En 1946, une ligne régulière de cargos s’ouvre vers l’Afrique du Sud et, après la nationalisation de la Compagnie en 1948, une ligne de cargos est ouverte vers Madagascar.

Les premiers départs de passagers n’ont lieu qu’à partir de 1947 mais les événements qui vont mener Madagascar vers l’indépendance gênent la reprise et le développement du trafic. Les lignes sont assurées par des paquebots d’avant-guerre comme Eridan, Maréchal Joffre ou Leconte de Lisle, puis la Compagnie lance un programme de construction de paquebots-mixtes pour l’océan Indien. Le remplissage des paquebots se maintient autour de 90 % jusqu’au début des années 1960 mais, dès la fin de la décennie, le trafic passager s’effondre et les paquebots des Messageries disparaissent de l’océan Indien.

L’océan Pacifique est desservi par les Messageries depuis la convention postale de 1881 organisant la ligne de l’océan Indien. Le premier départ des Messageries vers la Nouvelle-Calédonie est assuré par le paquebot Natal : il quitte Marseille le 23 novembre 1882 vers Port-Saïd, Suez, Aden, Mahé, La Réunion, Port-Louis, King George Sound, Adelaïde, Melbourne, Sydney et Nouméa (Nouvelle-Calédonie).

Georges Taboureau dit Sandy-Hook (1879-1960). Affiche « 1882. Natal »

La Compagnie met rapidement sur la ligne des navires construits spécifiquement pour cette destination et filant 13 noeuds de moyenne, tels que Calédonien, Melbourne, Sydney et Océanien qui assurent à tour de rôle le départ mensuel depuis Marseille. Ces paquebots ne permettant qu’une desserte et un ravitaillement mensuel de la Nouvelle-Calédonie, une liaison supplémentaire était assurée entre Nouméa et Sydney par un navire stationnaire de la Compagnie, qui permettait un relais avec les paquebots anglais arrivant en Australie.

En  1887,  pour créer une ligne dédiée à la seule zone de l’océan Indien, la Compagnie supprime l’embranchement vers La Réunion et Maurice de la ligne vers l’Australie, qui passe désormais par Ceylan. La ligne australienne connaissant un véritable essor, les Messageries mettent en service entre 1890 et 1892 une série de quatre paquebots rapides (Australien, Armand Béhic, Polynésien et Ville de La Ciotat) filant 17 nœuds.

Anonyme. Le paquebot Pacifique (1899-1925) aux Chantiers de La Ciotat, navire stationnaire sur la ligne annexe Sydney-Nouméa

Anonyme. Le paquebot Australien (1890-1918) en mer

En 1901, la ligne annexe Sydney-Nouméa se prolonge jusqu’aux Nouvelles-Hébrides.

À compter de 1903, l’escale à Bombay de la ligne d’Extrême-Orient est supprimée. Celle-ci est désormais assurée par la seule ligne d’Australie. Ralentie par cette escale et privée de la clientèle de l’océan Indien, la ligne d’Australie peine à assurer le remplissage de ses cabines au début du XXe siècle. La clientèle européenne reste fidèle aux compagnies doyennes P&O et Orient Line, tandis que les Australiens qui avaient longtemps privilégié les paquebots des Messageries sont désormais captés par leurs compagnies nationales.

En 1919, le paquebot El Kantara assure le transport des mobilisés de Nouvelle-Calédonie et de Tahiti de retour de Métropole. C’est alors le tout premier navire français à passer le canal de Panama, inauguré en 1914. Par la suite, les voyages vers l’Océanie se poursuivent par Suez.

Après 1921, la ligne d’Australie est profondément modifiée. La ligne est divisée en deux branches distinctes qui vont jusqu’en Océanie par Panama ou par Suez, désormais au départ de Dunkerque.

Au cours des années 1930, les navires partent à nouveau de Marseille en empruntant uniquement le canal de Panama et, pour des raisons économiques, atteignent Nouméa sans escale en Australie.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le trafic de marchandises et de passagers reprend lentement dans la zone avec les unités d’avant-guerre ayant pu être refondues et quelques navires affrétés. Après la nationalisation de la Compagnie, une série de paquebots-mixtes est commandée pour le Pacifique : Calédonien est livré en 1952, Tahitien en 1953 et Polynésien en 1955. Jusqu’à la fin de l’exploitation des lignes de passagers dans le Pacifique, la tête de ligne est déplacée de Nouméa à Sydney et la Compagnie n’assure plus que six voyages annuels par Panama. La ligne annexe Sydney – Nouméa – Sydney est desservie comme avant-guerre par un petit navire à moteur.

Les autres voyages sont assurés par les lignes de charge selon les nécessités commerciales.

Anonyme. Carte des lignes de la Compagnie des Messageries Maritimes, 1958 (?)

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René Simon (1907-1994). Le paquebot Tahitien (1953-1971) en mer

Au cours des différents conflits, les compagnies maritimes participèrent largement à l’effort de guerre et payèrent un lourd tribut au service de la nation.

Pendant la Première Guerre mondiale, les Messageries Maritimes ne firent pas exception à la règle : si la plupart des lignes postales sont maintenues, de nombreux navires sont aménagés pour le transport des troupes, notamment les mobilisés issus de l’Empire colonial. En quelques semaines, plusieurs dizaines de milliers d’hommes quittent Madagascar, la Réunion, l’Indochine ou les établissements français en Inde pour rejoindre le front.

Au-delà des réquisitions de navires, de nombreuses unités participèrent à des opérations militaires, essentiellement en Méditerranée, et certaines furent transformées en navires-hôpitaux, comme l’André Lebon ou le Sphinx. Le destin de ce dernier fut exceptionnel : transformé une première fois en navire-hôpital (capacité de 940 lits) en 1915 pour rapatrier les victimes des combats sur le front d’Orient, il retrouve sa livrée blanche de navire-hôpital (capacité de 637 lits) de 1939 à 1943, participant à de nombreuses opérations, tant en Atlantique qu’en Méditerranée.

À l’issue du conflit, les pertes sont considérables : sur les 60 navires possédés par la Compagnie en 1914, 25 ont été détruits. Plus de 400 employés ont été tués, équipage et état-major confondus. Les torpillages furent particulièrement meurtriers : à lui seul, le naufrage de l’Athos, survenu en février 1917 au large de Malte, reste comme la plus grande catastrophe de l’histoire des Messageries, avec plus de 754 morts ou disparus.

Anonyme. Le paquebot Sphinx (1914-1943) transformé en navire-hôpital, vers 1940

Anonyme. Hôpital à bord du paquebot Sphinx (1914-1943) transformé en navire-hôpital, vers 1940

Anonyme. Le paquebot Basque (1910-1923) échoué à Marsaxlokk après avoir été torpillé le 18 février 1918 par un sous-marin allemand

La Seconde Guerre mondiale voit se répéter en grande partie les événements du début du siècle : si certaines unités sont transformées en croiseurs auxiliaires, notamment pour escorter des convois, d’autres sont simplement équipées d’un armement défensif léger tout en conservant un usage civil. A nouveau, les Messageries sont mises à contribution pour effectuer les transports des troupes, notamment en Méditerranée.

À la suite de l’armistice de juin 1940, la Compagnie se trouve dans une situation complexe. Le régime de Vichy exigeant l’immobilisation des navires, bien peu d’unités et de membres d’équipage passeront au service des Forces navales de la France libre et des Alliés. Néanmoins, au fil du temps, plusieurs navires furent saisis, notamment par les Britanniques et les Américains, alors même que l’occupant exigeait le sabordage des navires français risquant d’être capturés. Ce fut par exemple le cas du paquebot Félix Roussel en juillet 1940, près de Suez : réquisitionné par la Royal Navy et ensuite utilisé comme trooper, il conserva cependant un équipage franco-anglais jusqu’en 1942, puis exclusivement français jusqu’à la fin des hostilités.

À l’inverse, d’autres unités passèrent sous le contrôle de l’ennemi, en particulier en Indochine, où les autorités japonaises réquisitionnèrent différents paquebots des Messageries. Ce fut ainsi le cas de l’Aramis, réquisitionné en 1942 à Saïgon et rebaptisé Teia Maru, ou encore du D’Artagnan, la même année.

Anonyme. Pont du paquebot Félix Roussel (1931-1955) transformé pour le transport de troupes

Fin 1944, la Compagnie est moribonde : en métropole, plus aucun navire n’est en état de naviguer sous le pavillon de la Licorne. La moitié de la flotte a été totalement détruite et les navires survivants sont dispersés sur toutes les mers du globe, naviguant souvent sous pavillon étranger.

Anonyme. Soldats allemands sur le chantier de construction du paquebot Maréchal Pétain (renommé La Marseillaise après guerre), à La Ciotat, en 1942

Anonyme. Le paquebot Champollion (1925-1952) transformé en transport de troupes, dans le port de Naples, en 1944

De la création des Messageries Maritimes en 1851 jusqu’aux dernières décennies du XIXe siècle, nombreux furent les navires où les espaces communs de la première classe se résumaient au « grand salon », pièce aux multiples fonctions utilisée à la fois comme salon, salle à manger, salon de musique ou encore bibliothèque. Le paquebot Hoogly (mis en service en 1867), le Pei-Ho (1870) ou encore l’Iraouaddy (1873), appartenaient à cette lignée de navires destinés à la ligne d’Extrême-Orient, aux emménagements encore modestes et où une certaine promiscuité restait de mise.

Priorité au confort

Jusqu’au tournant du XXe siècle, les navires des Messageries Maritimes possédèrent des espaces communs limités. La salle à manger des premières classes, par exemple, tenait souvent lieu de salon. Les passagers prenaient place autour de grandes tables communes, assis sur des fauteuils pivotants boulonnés au sol. Ce système ingénieux permettait à chacun de converser avec ses voisins et donc de « tenir salon », comme en témoignent les photographies des paquebots Armand Béhic (1892), Ernest Simons (1894) ou encore Amazone (1903).

Anonyme. Le paquebot Armand Béhic (1892-1925) en mer

Le début du XXe siècle vit l’amorce timide d’une évolution des arts décoratifs à bord : l’abandon du style Napoléon III ne signifia pas pour autant le recours à un vocabulaire décoratif contemporain. L’Art nouveau n’eut pas sa place sur les navires des Messageries et la Compagnie préféra privilégier le recours « rassurant » aux styles de l’Ancien Régime : cela fut notamment le cas pour les paquebots Paul Lecat (1912) et André Lebon (1915).

Anonyme. Balcon du salon de musique de la 1re classe du paquebot Armand Béhic (1892-1925)

Anonyme. Salon de conversation de la 1re classe du paquebot André Lebon (1915-1952)

Anonyme. Salle à manger de la 1re classe du paquebot Amazone (1903-1932)

Ces mêmes navires illustrent parfaitement une préoccupation commune à toutes les grandes compagnies maritimes de cette époque : les emménagements du bord avaient alors pour objectif de faire oublier aux riches passagers qu’ils avaient quitté la sécurité du continent pour les aléas des océans. La décoration, pour sa part, relevait encore largement du style Napoléon III, style qui perdura pendant les premières décennies de la Troisième République : luxe ostentatoire, lourdes tentures et sièges à franges, références aux grands styles français du passé… en bref, un véritable éclectisme propre à rappeler aux passagers l’intérieur cossu des grandes maisons bourgeoises.

L’incroyable exotisme des Messageries Maritimes

Les Messageries se devaient de fidéliser une clientèle voyageant vers les colonies françaises : militaires, diplomates, fonctionnaires… Georges Philippar, président de la Compagnie de 1925 à 1948, insuffla un vent de nouveauté en décidant de décorer les navires dans le goût des destinations. Il réduisit la place accordée aux styles du passé, sans pour autant supprimer les références aux styles ayant contribué à la grandeur de la France, et privilégia des styles plus contemporains pour les cabines, notamment l’Art déco. Pour les espaces communs, l’éclectisme et l’historicisme qui caractérisaient jusqu’alors les paquebots, s’effacèrent largement au profit de décors exotiques s’inspirant de l’histoire des pays desservis.

Le paquebot Champollion, entré en service en 1925, fut le premier à recevoir un décor tout à fait insolite, suivi dès 1926 par son jumeau le Mariette Pacha. La découverte du tombeau de Toutânkhamon par Howard Carter, en 1922, donna à l’égyptomanie un nouvel élan en Europe. Des emménagements alliant confort et décoration inspirée de l’Égypte antique s’imposèrent donc rapidement pour ces deux paquebots desservant la ligne rapide d’Égypte. Dès lors, les espaces communs arborent des décors faits de frises de scènes antiques, de motifs géométriques ou de colonnes papyriformes.

Anonyme. Le paquebot Champollion (1925-1952) en mer

Anonyme. Grande descente de la 1re classe paquebot Champollion (1925-1952)

Anonyme. Entrée du salon de conversation de la 1re classe du paquebot Félix Roussel (1931-1965)

Anonyme. Salle à manger de la 1re classe du paquebot Mariette Pacha (1926-1944)

Anonyme. Grand escalier de la salle à manger de la 1re classe du paquebot Aramis (1932-1942)

Quelques années plus tard, les paquebots Félix Roussel (1931) et Aramis (1932) poursuivirent cette tendance en s’inspirant, pour le premier, du style khmer et, pour le second, de l’art crétois.

À bord du Félix Roussel, l’architecte Paul Roque et le décorateur Marc Simon firent clairement référence aux temples angkoriens à travers un admirable programme sculpté. Sur l’Aramis, Marc Simon allia son talent à celui du peintre breton Mathurin Méheut pour créer une décoration dans le goût crétois.

Rationalisme, sobriété et harmonie : la nouvelle donne de l’après-guerre

Quelques années seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle la moitié de la flotte des Messageries Maritimes a été détruite, le décorateur Jacques Adnet décrit de la manière suivante les quelques principes essentiels qui guidèrent la décoration du paquebot Ferdinand de Lesseps (1952) :

« Apporter, dans la mesure du possible, des conceptions neuves ; voir simple, ne jamais perdre de vue l’unité du navire, tout en évitant la monotonie ; rester rationnel, logique et pratique ; enfin, rechercher, par les décors muraux, des possibilités d’évasion et de rêve pour les passagers »
(extrait d’une brochure publicitaire éditée par la Compagnie – Archives French Lines)

René Simon (1907-1994). Le paquebot Ferdinand de Lesseps (1932-1942) au large du château d’If, à Marseille

René Simon (1907-1994). Bar de la 1re classe du paquebot La Bourdonnais (1953-1968)

Telles sont ainsi résumées les grandes tendances de l’après-guerre : les programmes décoratifs ostentatoires et parfois hétéroclites ne sont plus de mise. Les architectes et les décorateurs rivalisèrent alors d’ingéniosité pour faire émerger un vocabulaire décoratif épuré, sobre et favorisant le caractère fonctionnel des emménagements. Les années 1950 et 1960 se caractérisèrent également par le refus de plaquer un masque décoratif sur l’architecture métallique des navires : au contraire, cette dernière fut sublimée par la conception de larges espaces, clairs et dégagés.

René Simon (1907-1994). Descente de la 1re classe du paquebot Cambodge (1953-1970)

René Simon (1907-1994). Fumoir de la 1re classe du paquebot Jean Laborde (1953-1970)

Partout, le plus grand soin fut apporté à la sélection des matériaux (cuirs, rotin, céramiques, bronze…), notamment les nombreuses essences de bois utilisées tant dans les locaux communs que dans les cabines. Le végétal se mêlait savamment aux matériaux plus contemporains (matières plastiques telles que le nylon ou le dilophane, Formica, verre trempé « Securit »…) pour composer des atmosphères lumineuses et souvent fraîches. Il ne faut pas perdre de vue que les navires des Messageries Maritimes étaient destinés à fréquenter les mers chaudes : la Compagnie jugea donc essentiel, pour le confort des passagers, d’étudier avec attention les gammes chromatiques proposées pour les emménagements. Pour des navires tels que La Marseillaise (1949), La Bourdonnais (1953), le Pierre Loti (1953) ou encore le Laos (1954), destinés aux lignes de l’océan Indien et de l’Extrême-Orient, les tonalités froides et claires furent fréquemment utilisées, bien que largement équilibrées par l’emploi récurrent de couleurs vives, le tout créant des ambiances gaies et bigarrées, contrastant avec les lignes épurées de l’ameublement.

Pour orner les navires mis en service dans l’après-guerre, jusqu’au Pasteur en 1966, les Messageries Maritimes firent largement appel aux meilleurs artistes contemporains, n’oubliant pas que leur flotte constituait l’un des meilleurs ambassadeurs modernes de la tradition française. Certains paquebots mis en service dans les années 1950 bénéficièrent des services de décorateurs et ensembliers de renom, parmi lesquels André Arbus pour le Jean Laborde et le Viet-Nam, Jacques Adnet sur le Ferdinand de Lesseps, Jules Leleu pour le Pierre Loti, Jean Pascaud sur le Laos ou encore Jacques Quinet pour La Bourdonnais.

Anonyme. Salle à manger de la 1re classe du paquebot La Marseillaise (1949-1957)

René Simon (1907-1994). Salle à manger de la 1re classe du paquebot Ferdinand de Lesseps (1952-1969)

Chacun d’eux s’adjoignit les services des meilleures manufactures françaises et d’artistes reconnus : ferronneries de Gilbert Poillerat, sculptures signées Sylva Bernt, peintures de Roger Chapelain-Midy, céramiques de Luc Lanel, laques créées par Pierre et Bernard Dunand, tapisserie de Jean Lurçat… ne sont là que quelques exemples du formidable creuset artistique que constitua la décoration des nombreux navires mis en service par la Compagnie à partir de 1951 mais aussi, plus généralement, pendant les 126 ans d’existence des Messageries Maritimes.